Titre

Parents et enseignants en contexte de diversité culturelle : quelle négociation des rôles? Inégalités et tensions de rôles autour de la 'normalisation' des pratiques parentales

Auteur Xavier CONUS
Directeur /trice Prof. Tania Ogay
Co-directeur(s) /trice(s)
Résumé de la thèse

Notre travail de thèse a été réalisé dans le cadre du projet de recherche COREL , soutenu par le Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS). L’objectif de la recherche COREL était de saisir le processus de construction de la relation entre l’école et les familles au moment de l’entrée à l’école de l’enfant aîné, dans un établissement scolaire accueillant majoritairement des enfants de familles issues de la migration et/ou disposant de revenus modestes. La qualité de la relation familles-école est aujourd’hui établie par la recherche comme un élément contributeur essentiel de la réussite scolaire de l’enfant (Henderson & Mapp, 2002 ; Patrikakou, Weissberg, Redding, & Walberg, 2005). Préoccupés par les inégalités persistantes, les systèmes scolaires et plus largement éducatifs appellent instamment l’école et les familles à collaborer (Davis-Kean & Eccles, 2005 ; Larivée, 2011), à œuvrer dans une relation de partenariat (Pithon, Asdih, & Larivée, 2008), dans un objectif d’égalisation des chances scolaires. L’émergence de ce qui apparaît aujourd’hui comme une injonction à la collaboration et au partenariat va de pair avec le développement d’une attention marquée pour l’action parentale vis-à-vis de la scolarité de l’enfant, alimentée par les liens constatés entre l’éducation précoce d’une part (Burger, 2010), l’implication parentale dans la scolarité d’autre part (Porumbu & Necşoi, 2013 ; Wilder, 2014), et la réussite scolaire de l’enfant. Pourtant, au-delà des discours institutionnels, la manière dont l’appel au partenariat familles-école se concrétise dans les pratiques interroge. En encadrant les pratiques parentales de manière souvent normative (Baquedano-Lopez, Alexander, & Hernandez, 2013 ; Thin, 2009), cet appel au partenariat, tel qu’appréhendé par les acteurs scolaires, tend à surtout accroître la connivence entre l’école et les parents proches de la culture scolaire (Payet & Giuliani, 2014), et à paradoxalement renforcer la distance entre l’école et les parents qui en sont peu familiers (Périer, 2005).

L’appel au partenariat familles-école, l’attention accordée à l’action parentale vis-à-vis de la scolarité de l’enfant, mais également le paradoxe relevé autour de l’inégal accès au partenariat renvoient conjointement à une question centrale, celle de la négociation des rôles entre l’école et les familles, et particulièrement entre parents et enseignants. Pourtant, peu de chercheurs travaillant sur la relation familles-école traitent explicitement de la question des rôles, encore moins dans une approche communicationnelle, alors même que ces rôles se négocient au cœur des interactions entre parents et enseignants et que la communication se trouve plus largement au centre de la construction de la relation familles-école (Ogay & Cettou, 2014). Notre travail de thèse s’est inscrit dans ce constat. Ancré dans une perspective de communication interculturelle (Frame, 2013 ; Ogay & Cettou, 2014), il a eu pour objectif d’investiguer, dans le cadre du projet COREL, la manière dont parents et enseignants négocient leurs rôles au cœur de leurs interactions, dans une approche interactionniste de la négociation des rôles héritée du courant de l’interactionnisme symbolique (Degenne, 2011 ; Le Breton, 2008). La démarche ethnographique de la recherche COREL, en croisant comme outils de collecte l’observation des interactions entre parents et enseignants, la conduite d’entretiens semi-dirigés avec les acteurs, et la récolte de documents, couplée à la méthodologie d’analyse inductive adoptée dans le cadre de notre travail de thèse, nous ont permis de dégager une compréhension fine de ce processus de négociation des rôles, dont les résultats ont été présentés sous la forme des quatre publications constituant le cœur de cette thèse cumulative.

La première publication montre comment la négociation des rôles entre parents et enseignantes de notre terrain (toutes les enseignantes participant à la recherche étaient des femmes) se trouve, au-delà de certaines différences de postures enseignantes, fortement structurée par la culture scolaire, dans un contexte marqué par une vision déficitaire des enseignantes envers les parents. La deuxième publication relève comment, dans ces circonstances, la négociation des rôles entre parents et enseignantes tend à entraîner un processus d’annexion unilatérale du territoire familial dans un territoire scolaire élargi. La troisième publication souligne l’existence d’un paradoxe autour de la question spécifique de l’initiative de la communication lors des interactions informelles, les enseignantes tendant à assigner le rôle de l’initiative aux parents dans une ignorance des obstacles structurels et socio-psychologiques qui empêchent les parents de prendre l’initiative du contact. La quatrième publication, qui porte plus particulièrement sur la négociation des rôles lors de l’entretien formel parent-enseignante, met en évidence un effet-miroir d’extension du rôle enseignant à une expertise dépassant la chose scolaire pour inclure la question de l’éducation de l’enfant dans le contexte familial, et de restriction du rôle parental à un assentiment au discours enseignant afin de préserver une identité positive dans l’échange.

Au final, dans la perspective de communication interculturelle qui est la nôtre, ces résultats nous amènent à discuter de la manière dont la négociation des rôles entre parents et enseignants, dans un contexte de diversité culturelle comme celui du terrain de la recherche COREL, peut se trouver prise dans une dynamique de ‘normalisation’ institutionnalisée du rôle parental vis-à-vis d’une norme scolaire toute-puissante et omniprésente, caractéristique d’un ethnocentrisme institutionnel qui imprègne l’école et ses acteurs (Asdih, 2012 ; Ogay, 2017a). Cet ethnocentrisme se manifeste par l’imposition d’une norme scolaire vue comme allant de soi et indiscutable, mais également par l’entretien d’implicites au sujet de cette norme scolaire, créateurs de malentendus avec les parents peu familiers du monde scolaire. Il entretient les inégalités dans l’accès au partenariat prôné en fonction du degré de familiarité des parents avec la culture scolaire. Dans un tel contexte, la négociation des rôles entre parents et enseignants se caractérise par des tensions de rôles difficilement solubles pour les acteurs, entre des forces contradictoires appelant au partenariat d’une part, à la mise en conformité des pratiques éducatives parentales d’autre part. Au terme de notre travail de thèse, nous rejoignons Dubet (1997) et Périer (2005) quant au fait qu’une négociation des rôles réellement partenariale avec les parents dans leur diversité, qui soit empreinte d’équité et au final mieux vécue par les parents minoritaires comme par les enseignants, exige que l’école et les enseignants développent une logique de reconnaissance et de participation du parent réel. Nous soulignons toutefois que cette reconnaissance ne peut se faire à nos yeux sans que l’école et les enseignants ne s’engagent simultanément dans une démarche de décentration et de remise en question de la relation de pouvoir qui existe entre l’école et les familles, particulièrement les familles minoritaires.

Statut terminé
Délai administratif de soutenance de thèse 2017
URL http://www.unifr.ch/ipg/fr/equipe/xavier-conus
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