« État et formation à la prise en charge éducative des jeunes enfants en Angleterre, France et Suisse (seconde moitié du XXe siècle) : du sanitaire au pédagogique ? »

De nos jours, la nécessité d’une prise en charge éducative de la petite enfance est reconnue par de nombreux pays européens. Cet état de fait comporte cependant des présupposés non-questionnés que cette thèse vise à interroger afin de comprendre l’importance prise par cette éducation dans l’Europe du XXIe siècle. La compréhension de ce phénomène ne peut se concevoir sans analyser la seconde moitié du XXe siècle, période d’institutionnalisation et de développement de la prise en charge socio-éducative des jeunes enfants du fait d’évolutions économiques et sociales majeures (expansion des politiques sociales, augmentation du travail salarié féminin et transformations démographiques).

Afin de dépasser une historiographie de la petite enfance qui reste souvent cantonnée à l’étude des politiques nationales, cette thèse s’emploie à comprendre comment l’État social qui s’affirme dans la deuxième moitié du XXe siècle pense l’éducation des jeunes enfants, en co- construction avec les praticiennes du secteur. À travers l’étude de fonds d’archives des centres de formations des métiers en charge de l’éducation des jeunes enfants, ce travail ambitionne de mettre à jour les normes et valeurs que les instituts de formations souhaitent inculquer aux jeunes enfants tout en mettant en lumière l’évolution de leur perception du petit enfant et du rôle des parents dans son éducation. L’étude de ces contenus, en cherchant à conceptualiser les frontières des apprentissages sanitaires et éducatifs, permettra par ailleurs de transcender une distinction sanitaire / éducatif rendue rigide par l’historiographie.

En outre, la comparaison constituera dans cette thèse la première étape vers une approche transnationale permettant de questionner l’évolution des représentations dominantes et des discours dans un espace européen qui se caractérise par l’importance acquise par les formes institutionnelles de prise en charge des jeunes enfants. Au-delà de l’étude de fonds d’archives d’organisations internationales, l’analyse fine des archives nationales et locales donnera matière à la réalisation d’études sérielles des programmes de formation mais également des profils des étudiantes. Au sein de cet espace européen, ce sont plus particulièrement l’Angleterre, la France et la Suisse qui seront étudiés, du fait de leurs diversités institutionnelles et de la variété statutaire que ces métiers occupent. Une pluralité d’archives nationales relatives aux politiques sociales et éducatives sera mobilisée, associée à l’étude des fonds d’archives des centres de formation de quatre agglomérations d’importance comparable (Genève, Lausanne, Manchester et Nantes). La conduite d’une vingtaine d’entretiens sur chacun des terrains sera en outre l’occasion de rendre compte des rivalités, débats et compromis que les actrices entretiennent au sein d’un horizon transnational où elles contribuent à l’élaboration de normes. Ces entretiens permettront également d’interroger la diffusion et l’appropriation dans les pratiques de modèles inculquées durant leurs formations.

En articulant histoire de l’éducation, histoire de l’État social, histoire du travail et histoire du genre, ce travail s’attache également à questionner les processus de professionnalisation de ces métiers genrés. Dans ce cadre, l’étude de la formation constitue une ressource particulièrement appropriée en ce qu’elle permet de mettre en lumière les pratiques et les connaissances inculquées mais également la production de représentations permettant de dévoiler visions du métier, images de soi et représentations des publics. En se fondant sur la comparaison, ce travail vise ainsi à enrichir les connaissances portant sur la façon dont ces processus de professionnalisation se sont déroulés dans les différents pays étudiés, permettant de mieux comprendre à la fois les gains et les limites du processus par rapport à d’autres professions éducatives. Par ailleurs, ces métiers qui s’institutionnalisent et se massifient dans la deuxième moitié du XXe siècle, tout en créant des possibilités nouvelles d’emploi salarié aux femmes, ont dans le même temps cultivé l’idée d’un domaine féminin réservé permettant d’interroger la professionnalisation de fonctions souvent considérées comme de simples extensions de la fonction maternelle.